Tout sur ma victoire à la Deccan Cliffhanger 2022

Dans cet article je vais aborder la course sous les deux angles que sont l’entrainement, puis la course en elle-même.

Genèse du projet

Avant tout, il me semble important de faire un point de contexte.

Je vis en Inde depuis 4 ans, nous avons déménagé avec ma femme en 2019 pour des raisons professionnelles. J’ai toujours fait beaucoup de sport, notamment du trail et de l’ultra trail, mais une blessure au genou gauche fin 2020 m’empêche désormais de courir, raison pour laquelle j’ai fait beaucoup plus de vélo au cours des 24 derniers mois.

En arrivant en Inde j’ai recherché les évènements sportifs qui pouvaient me convenir : longue distance, nature, autonomie, découverte et challenge. Parmi les évènements que j’ai trouvé il y avait la Deccan Cliffhanger. La plus célèbre course d’ultra endurance en cyclisme en Inde. Une course également qualifiante pour la RAAM (Race Across America). La course commence à Pune (où je vis) et se termine à Goa (où j’aime passer mes vacances). Je l’ai donc rapidement ajouté à ma wishlist. Cependant, mes contraintes professionnelles puis sanitaires (crise du Covid) m’ont empêché de m’aligner au départ jusqu’à maintenant.

2022 était la bonne année, pas de déplacement pro, pas de crise sanitaire et suffisamment d’anticipation pour me préparer proprement.

Dernier point important, pour la première fois en 2022, les organisateurs ont ouvert une catégorie “self supported”, sans assistance donc. Ce format est idéal pour moi à plusieurs titres. Premièrement je n’étais pas en mesure de constituer une équipe d’assistance qui tienne la route. Une assistance est performante uniquement si on peut s’appuyer à 100% dessus, et lui faire confiance. Pour cela il faut de la connaissance mutuelle, de l’experience, de la pratique. Autant de choses que je ne pouvais pas avoir en constituant une équipe à partir de zéro. Deuxièmement, j’aime les efforts autonomes. J’aime me dire que si je réussis ou échoue, tout est de ma propre responsabilité. Pour ces deux raisons ce nouveau format était fait pour moi.

Il y a donc un an (janvier 2022), soit 11 mois avant la course, je me suis fixé de participer à la DC.

Ma préparation pour la Deccan Cliffhanger

Nous entrons maintenant dans la partie plus “technique” de la préparation. Je vais partager ici en détail mes datas (tout est disponible sur mon profil Strava).

Ma préparation s’est divisée en trois parties : physique, mentale et matérielle.

Préparation physique

⚠️ Attention : Je partage ici des données, qui me sont propres. Elles correspondent à mon physique, mon experience, le temps dont je dispose, ce que j’aime ou non faire et tous les autres paramètres familiaux ou professionnels. Cela n’est en aucun cas une recette qu’il faut suivre.

J’ai mis en place une approche progressive car même si j’ai toujours incorporé du vélo dans mes entrainements, j’étais très loin des volumes d’un cycliste.

Ces deux graphiques regroupent mes data d’entrainement des 20 dernières années. On voit clairement deux choses : 1 – J’ai passé beaucoup plus de temps en course à pied que à vélo, 2 – en 2021 j’ai cumulé moins de 1500 km ! J’ai fait dans l’année ce que certains cyclistes font en 1 mois… Autant dire que pour faire de moi un athlète d’ultra-cyclisme il y avait du boulot !

J’ai donc organisé ma préparation en deux phases distinctes.

La première phase est celle de la mise en jambe. L’objectif était simple : faire du vélo, souvent, et augmenter progressivement les volumes. Ce fut une phase au feeling, sans réel plan ou structure. On le voit dans les stats, il n’y a ni structure, ni logique. En revanche on voit bien la régularité sur les mois de janvier à août.

Je me suis fait une petite frayeur fin Avril, quand lors d’une chute en vélo je me suis fait une déchirure au molet gauche, qui m’a stoppé dans mon élan pendant 2/3 semaines le temps de la guérison.

Pendant l’été en France (en vacances), je me suis fait du vélo “plaisir”, notamment un event gravel de 150km en Bretagne, puis une semaine de bikepacking en Famille.

Je termine le mois de juillet avec pas loin de 5000km au compteur, soit beaucoup plus que ce que j’avais pu faire jusque là en une année.

Je suis rentré en Inde début août pour commencer la phase 2 de l’entrainement.

La deuxième phase est celle du travail spécifique. Rien ne sert de rouler beaucoup, il faut rouler bien. Cette phase a duré 3,5 mois durant lesquels j’ai travaillé deux qualités en particulier : l’endurance, et la capacité à reproduire un effort.

L’endurance c’est évident, pour faire une course de 650km il faut de l’endurance. Rassurez-vous je n’ai jamais fait de sorties plus longue que 150km. 150km c’est le maximum que j’ai fait a l’entrainement, et cela a du se produire 2 ou 3 fois maximum.

La deuxième qualité (répétition de l’effort) est peut-être moins évidente, mais tout autant nécessaire car le format de la course nous impose de faire une pause a mi-chemin. Cette pause pouvant aller de 3h à 6 ou 7h en fonction du niveau du cycliste. Une fois arrivé à cette étape intermédiaire, il faut avoir la capacité de repartir et de se donner à fond. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de travailler sur cette qualité en particulier.

Voici le modèle que j’ai mis en place pour mes semaines :

  • Lundi : Repos
  • Mardi : Intensité le matin + Recup le soir
  • Mercredi : Repos
  • Jeudi : Intensité le matin + Recup le soir
  • Vendredi : Repos
  • Samedi : Entrainement long
  • Dimanche : Repos ou entrainement moyen (selon les semaines)

Comme on peut le voir, je privilégie la qualité sur le volume, et je laisse beaucoup de récupération entre les séances.

J’ai ensuite fait varier les intensité et le volume en 3 niveaux de paliers. Cela permet de faire varier les charges d’entrainement et gérer la récupération au niveau global, sur l’enseemble du cycle d’entrainement.

Il a parfois fallu que j’adapte mes séances en fonction de contraintes ou de niveaux de forme. D’ailleurs il faut toujours écouter ses sensations.

On voit bien le pattern dans les datas d’entrainement, la structure est plus propre.

En revanche sur le volume global on voit que la courbe suit sa ligne sans se casser.

En analysant les datas, il est important de prendre en compte différents niveaux de maille. En effet, sur les datas mensuelles on observe une certaine “stabilité” qui n’est pas représentative de la réelle intensité de l’entrainement. Le niveau hebdomadaire est beaucoup plus intéressant car il fait apparaitre les différences entre les semaines.

Je termine ma préparation avec 8900km dans les jambes, juste avant la Deccan Cliffhanger. C’est énorme pour moi, mais pas tant pour certains cyclistes qui peuvent faire près de 20000km / an.

Préparation Mentale

Le deuxième pan de la préparation est la préparation mentale. Elle est tout aussi importante que la préparation physique car après 300km, peu importe notre niveau d’entrainement, on aura mal aux jambes. A ce moment c’est le mental qui prend le relais.

Sur ce type d’effort j’estime que le mental est probablement pour 50% de la performance, d’autant plus dans le forma solo self supported où on ne peut pas compter sur l’équipe pour hurler dans un haut-parleur quand ça ne va pas…

Cette partie est plus difficile à expliquer car très personnelle, et basée sur mes 20 années d’experience, dont une dizaine d’ultra-endurance.

Le principe est assez simple, il faut préparer son cerveau à tout ce qui peut se passer (défaillance meccanique, défaillance physique, erreur de parcours, accident, …) et imaginer comment on doit réagir dans de telles circonstances. Plus facile à dire qu’à faire…

L’autre principe est la visualisation du parcours. Se renseigner, se documenter sur le parcours afin d’éviter les surprises.

Préparation Matérielle

C’est probablement la partie sur laquelle j’ai fait le moins de préparation.

Je possède un vélo de gravel, équipé de gros pneux à crampons qui me permettent d’aller partout, surtout en Inde, mais qui n’est pas idéal pour aller vite.

J’ai fait deux modifications sur mon vélo en vue de la course.

  • J’ai ajouté des prolongateurs, qui permettent à la fois d’avoir une position plus aéro dynamique, mais aussi de varier les positions sur le guidon. Après plusieurs heures sur le vélo, c’est bon de pouvoiir changer de position pour déendre certains muscles.
  • J’ai mis des pneux slick, mais larges. J’aime mon confort. Pour moi des pneux larges c’est plus de confort, et plus de sécurité, notament sur les routes indiennes dont l’état est parfaois cahotique. C’est un choix que je ne regrette pas, j’ai pu aller vite partout. Mes pneux sont montés en tubeless afin de limiter les risques de crevaison.

Je suis parti avec tout le matériel nécessaire pour réparer en cas de besoin : réparer la chaine, réparer les pneux, réparer un derailleur, réparer les chaussures et/ou pédales.

J’ai aussi fait le choix d’être autonome en nourriture. Pas en eau. J’avais 3 bidons de 700ml que je devais remplir régulièrement.

Mon vélo pèse 9kg + 4,6kg de matériel et nourriture = total de 13,6kg !

C’est lourd mais c’est le prix à payer pour avoir l’esprit tranquille.

Ma course

J’ai abordé la course de manière sereine et stressée.

J’étais serein car satisfait de ma préparation, avec une belle progression malgrès quelques imprévus.

Stressé car d’une part sur ce type de course on n’est jamais sûrs de rien, et parceque j’étais impressionné par le matériel et le volume d’entrainement de certains autres coureurs.

Je ne vais pas refaire toute la revue de la course, tout est expliqué dans ma vidéo ici.

Ce que je retiens du parcours

  • Le parcours ne comporte pas tellement de dénivellé, comparé à la distance. En revanche c’est extrêmement casse-jambes. On se croirait en Bretagne (avec 20 degrés de plus…)
  • La première partie est magnifique, j’ai adoré monter à Mahabaleshwar.
  • L’autoroute avant et après Kolhapur m’a parru interminable.
  • L’autoroute dans la plaine de Goa m’a parru interminable aussi.
  • La chaleur était difficilement supportable pour moi.
  • Les parties de nuit étaient les meilleurs (calme et frais).
  • La section après Belgaum était magnifique.
  • Pas ou peu de répis, il faut rester vigilant tout le temps.
  • A mon avis pas facile pour un cycliste qui ne se serait pas entrainé en Inde car c’est clairement un plus d’être habitué à la circulation, au code de la route et à la navigation.

Ce que je retiens de l’organisation

  • Une organisation très pro.
  • Une masse de détails sont fournis dans le roadbook, avec plusieurs sessions pour poser nos questions
  • Aucun loupé.
  • Super ambiance et support.

Ce que je changerais si c’était à refaire

  • Plus de diversité dans mon alimentation pour retarder la lassitude.
  • Brancher correctement ma caméra pour avoir de la batterie pendant toute la course.
  • Passer moins de temps en pause. J’ai un chrono de 25h06 pour un temps de mouvement de 23h39, ce qui veut dire que je me suis arrété environ 1h20 au total (hors pause obligatoire).
  • Un vélo plus léger.
Ma tête en arrivant

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